Renaud – Morgane de toi

1983 – Polydor, 815 300-2 (1 CD)

10 titres – 43:52 min

1/ Dès que le vent soufflera (Renaud Séchan)
2/ Deuxième génération (Renaud Séchan)
3/ Pochtron ! (Renaud Séchan)
4/ Morgane de toi (Renaud Séchan/Franck Langolff)
5/ Doudou s’en fout (Renaud Séchan)
6/ En cloque (Renaud Séchan)
7/ Ma chanson leur a pas plu (Renaud Séchan)
8/ Déserteur (Renaud Séchan)
9/ Près des autos tamponneuses (Renaud Séchan / Franck Langolff)
10/ Loulou (Renaud Séchan)

En 1983 sort le septième album de Renaud, celui de la consécration. C’est le dernier album réalisé pour Polydor, et cette fois-ci on lui a donné les moyens de faire ce qu’il veut, et cela s’entend. La production est bien meilleure que sur ses albums précédents, la musique un peu plus variée et plus intéressante, même la voix de Renaud semble plus ferme. Bref au niveau musical proprement dit, c’est la première fois que Renaud atteint ce niveau.

Les thèmes abordés ont changé aussi, Renaud ne semble plus vouloir « détruire la société », et son discours anarchiste s’est un peu calmé. Il s’intéresse désormais plus au bonheur de sa fille Lolita, et veut lui construire un monde propre et heureux. Ainsi « Morgane de toi » parle de cet amour paternel, du désir de Renaud de protéger sa fille. La mélodie à la guitare et au piano est absolument imparable, c’est quasiment la première fois que j’écoute un titre de Renaud pour la musique. Mais le message est toujours présent : « T’entends pas c’ bruit, c’est le monde qui tremble / Sous les cris des enfants qui sont malheureux ».

De même « Déserteur » (calquée sur la chanson du même nom de Boris Vian) et son thème écologiste / anti-militariste montre bien quel lendemain Renaud veut pour sa fille.

C’est donc un album plein de douceur et de poésie que livre ici le chanteur. « En cloque » et l’admiration de Renaud pour sa femme, « Doudou s’en fout » ou les vacances comme remède face à la bêtise quotidienne. « Deuxième génération » renoue avec la politique et les évidentes préoccupations sociales de Renaud, qui même s’il a une famille n’oublie pas sa banlieue.

Comme d’habitude, on retrouve l’humour des textes avec par exemple « Dès que le vent soufflera » : « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme, tatatin … » ou « allerons … de requin ». Renaud joue toujours avec ses mots et ses tournures de phrases si particulières. Personnellement j’adore cette phrase de « Deuxième génération » : « On n’y a mis la tête contre une brique / Que même la brique elle a eu mal ». Même si le sujet traité n’est pas drôle, Renaud a le mérite de savoir raconter des choses dures sans tomber dans le larmoyant, peut-être parce qu’il a vécu les situations qu’il décrit.

En tout cas en 1984 Renaud est présent partout. « Morgane de toi », se vend à plus à un 1.5 millions d’exemplaires et Renaud inaugure le Zénith flambant neuf en donnant une série de concerts qui attirent 75000 spectateurs.

Renaud – Le retour de Gérard Lambert

1981 – Polydor, 823059-2 (1 CD)
11 titres – 42:37 min
1/ Banlieue rouge (Renaud Séchan)
2/ Manu (Renaud Séchan)
3/ Le retour de Gérard Lambert (Renaud Séchan)
4/ Le père Noël noir (Renaud Séchan)
5/ J’ai raté Télé Foot (Renaud Séchan)
6/ Oscar (Renaud Séchan)
7/ Mon Beauf (Renaud Séchan)
8/ La Blanche (Renaud Séchan)
9/ Soleil immonde (Renaud Séchan / Michel Colucci)
10/ Etudiant poil aux dents (Renaud Séchan)
11/ A quelle heure on arrive (Renaud Séchan)

En 1981 c’est reparti pour le septième album de Renaud (en comptant les deux lives « A Bobino » et « Le p’tit bal du samedi soir ») ! C’est tout de même fort en 6 ans. En tout cas Renaud a su trouver son style, qui finalement plait bien aux français et aux médias, ce qui n’était pas vraiment le cas à ses débuts. Mais cette album marque justement à mon avis la fin d’une ère pour Renaud, ou tout du moins la fin du style et du look « voyou de banlieue ». En effet Renaud est maintenant père d’une petite fille, et on sent qu’il est plus calme et plus posé que d’habitude. Dans « A quelle heure on arrive ? », il joue même avec ce changement en faisant de l’humour sur ses spectacles, qui attirent en principe toujours des loubards : « Y’a pourtant des rockys / Qu’ont dû avoir les boules / En m’voyant applaudi / Même par des babas cools ».

Alors bien sûr l’album met encore en scène Gérard Lambert et narre une fois de plus ses aventures violentes dans la région parisienne. Ce nouveau western épique et tout en ambiance raconte comment Gérard s’est perdu dans le bois de Boulogne au volant de sa Simca 1000. Tout un programme … Les aventures de Gérard Lambert deviendront même une BD sous le crayon de Jacques Armand.

Mais c’est quasiment la seule flambée de violence de cet album. Par exemple « Banlieue rouge » donne une vision moins drôle de la réalité de la banlieue du début des années 1980, de ces quartiers où rien ne bouge jamais et où vivent les « beaufs » de notre cher pays. Et Renaud en a un sympathique de « beauf », « imbécile et facho, mais heureusement, cocu ». Cette chanson restera un grand classique de Renaud, tout comme « J’ai raté Télé-Foot », où Renaud évoque pour la première fois son bébé (mais uniquement pour échanger sa bibine contre le biberon du poupon).

Renaud s’essaie aussi, et c’est nouveau, aux textes sérieux et non-violents. Ainsi « La Blanche » ou « Manu » se veulent des chansons donneuses de conseils, mais pas de leçons (comme Renaud le fait remarquer sur « La Blanche », vu ce qu’il fume il est mal placé pour en donner). Et le résultat est bien là, des chansons fines et qui font mouche.

« Soleil immonde », écrite en collaboration avec Coluche (parrain de Lolita), raconte la même histoire que « Manu », celle de l’amoureux abandonné par sa nana. La tournure des phrases est très spéciale, et très drôle : « Y’a plus personne qui m’aime plus », « L’Armée rouge a défilé dans ma tête / J’leur ai fait monter de l’aspirine ». Bref un texte très second degré et très bien écrit.

Enfin même sa voix a acquis de la maturité. Il suffit d’écouter « Oscar », « Manu » ou « Le père Noël noir » pour être enfin assuré que Renaud sait chanter. Mention spéciale au « Père Noël noir », qui me fait toujours autant rire. Bref encore un très bon album pour Renaud, même si c’est la fin d’une période pour le chanteur et si ses futurs enregistrements ne seront plus aussi « naïfs » et rentre-dedans, perdant peut-être un peu de leur fraîcheur.

Renaud – Le p’tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes

1980 – Polydor, 823 566-2 (1 CD)

12 titres – 36:47 min

1/ Lézard (Aristide Bruant)
2/ C’est un mauvais garçon (J. Boyer / G. Van Paris)
3/ Du gris (E. Dumont / F.L. Benech)
4/ Tel qu’il est (M. Vandair, Charlys / Alexander)
5/ C’est un mâle (Charlys)
6/ Le p’tit bal du samedi soir (Drejac, Delettre / Borel, Clerc)
7/ Un chat qui miaule (G. Zwingel / F. Faecq, M. Camia, Pesenti)
8/ Rue Saint Vincent (Aristide Bruant)
9/ La java (A. Villemets, J. Charles / M. Yvain)
10/ La jeune fille du métro
11/ La butte rouge (Montehus / G. Krier)
12/ La plus bath des javas (Georgius / Tremolo)

Renaud Séchan (chant), Joss Baselli (accordéon), Pascal Basile (batterie), Hermes Alesi (basse), Jacky Giraudot (guitare)

Sur cet album, Renaud rend hommage à toute la culture parisienne, celle des guinguettes et de Montmartre. Il le fait en reprenant des classiques, et l’on se retrouve vite au bord de la Seine, avec l’accordéon et l’accent « parigot » dans les oreilles. Renaud s’amuse sur scène, parle à son public, le priant par exemple de ne pas partir pendant les vingt secondes d’un instrumental. Il détaille les chansons, expliquant en quoi elles sont liées à ses textes. Ainsi lui qui est connu (à l’époque) pour soutenir et promouvoir « la violence et le vol des bourgeois », il se justifie avec « Un chat qui miaule », l’histoire d’un casse qui tourne mal à cause d’un chat.

Les textes des chansons, ainsi que les commentaires de Renaud, tout respire l’amour de Paris, du Paris antérieure aux années 50, encore épargné par la pollution, les voitures, le délabrement et la violence quotidienne. Les chansons d’Aristide Bruant (« Lézard », « Rue Saint-Vincent ») sont remarquables à ce niveau. Leur mélancolie rend parfaitement cette ambiance, propre aux histoires de petits voleurs des rues, de gavroches indécrottables et pourtant si tendres. Renaud change un peu de registre avec « La jeune fille du métro », un classique de la chanson « paillarde » gentille, qui comme il le dit lui-meme, « arrive à faire rire sans parler de cul ».

Ce disque est très drôle, très frais, et tout simplement indispensable pour tout fan de Renaud, souhaitant comprendre les origines et les premiers amours de l’artiste.

Renaud à Bobino

Renaud › A Bobino (le théâtre de la chanson et du rire) 1980

1980 – Polydor (1 CD)

18 titres – 73:21 min

  1. Société tu m’auras pas
  2. La chanson du loubard
  3. La bande à Lucien
  4. Ma gonzesse
  5. Les aventures de Gérard Lambert
  6. La teigne
  7. Hexagone
  8. Chanson pour Pierrot
  9. La tire à Dédé
  10. Les charognards
  11. Germaine
  12. L’auto stoppeuse
  13. It is not because you are
  14. Mimi l’ennui
  15. Marche à l’ombre
  16. Dans mon H.L.M.
  17. Pourquoi d’abord ?
  18. Baston !

Enregistré en mars 1980 à Bobino.

En 1980, après cinq ans de chanson, Renaud a déjà quatre albums à son actif. Pour la sortie de « Marche à l’ombre », il décide d’immortaliser une de ses prestations scéniques sur la tournée qui suit. C’est à Bobino (où il séjourne du 11 mars au 6 avril) qu’est donc enregistré cet album live, en mars 1980. Pendant la première partie du concert Renaud revisite des classiques de la chanson française (notamment des titres de Bruhant et Fréhel). Ces chansons sortiront en septembre 1980 sur l’album « Le p’tit bal du samedi soir ». Ce n’est qu’en deuxième partie de concert que l’artiste interprète ses propres titres, que l’on retrouve sur cet album. Et là aussi il s’agit en quelque sorte d’une relecture, comme pour les chansons du folklore parisien. En effet Renaud s’amuse à renouveler du tout au tout l’orchestration de ses morceaux.

Ainsi ce sont des versions country rock de « La bande à Lucien » et de « Dans mon H.L.M. » qui s’offrent à nous. De même « Société tu m’auras pas » et « Hexagone » sont beaucoup plus dures, plus teigneuses que sur album, prônant véritablement l’anarchie et la destruction de la société capitaliste.

Mention spéciale pour « Les aventures de Gérard Lambert », que Renaud annonce ainsi : « Tremblez bourgeois car voici la triste et lamentable histoire de Gérard Lambert, le Hell’s Angels maudit ». Puis les chœurs de western débarquent et Renaud s’écrit « Tatatin ! ». Un grand moment, toute la chanson est ponctuée des cris du chanteur, qui suit la musique de ses célèbres « Tatatin ! ».

Renaud pousse son accent des bas fonds parisiens à son paroxysme, en jouant comme d’un instrument. Le contact avec le public, remarquable de spontanéité, fait partie des points forts de cet album. Renaud laisse des blancs dans ses chansons lorsque le public applaudit à une déclaration particulièrement provocatrice (comme sur « Pourquoi d’abord ? »), afin de lui laisser le temps de s’exprimer. Les morceaux sont séparées par des interventions de l’artiste, qui plaisante, explique certains textes ou se vante de son chant !

Cet album permet de retrouver en version concert des titres que Renaud n’interprète plus maintenant, mais qui restent très agréables (« Pourquoi d’abord ? », « Les charognards » ou « La teigne »). Il forme un tout avec « Le p’tit bal du samedi soir », et ces deux albums réunis offre une vision fidèle de ce qu’était Renaud au début des années 80, alors qu’il n’avait pas encore atteint le sommet de sa carrière (médiatique notamment). Ce concert est un monument, plus qu’une curiosité historique, un véritable témoignage de tout le talent de ce grand compositeur populaire.

Renaud – Marche à l’ombre


1980 – Polydor, 823 574-2 (1 CD) – 10 titres – 38:31 min

  1. Marche à l’ombre
  2. Les aventures de Gérard Lambert
  3. Dans mon H.L.M.
  4. La teigne
  5. Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?
  6. It is not because you are
  7. Baston !
  8. Mimi l’ennui
  9. L’auto stoppeuse
  10. Pourquoi d’abord ?

Renaud continue son chemin avec ce nouvel album en 1980, et affirme bien haut que son succès grandissant ne le change pas. Malgré ses 450 000 copies vendues de « Ma gonzesse », il n’est pas récupéré par le système financier du music-business, au contraire il est plus virulent que jamais.

C’est sur cet album qu’apparait pour la première fois le célèbre Gérard Lambert, loubard de banlieue, sale, bête, méchant et très certainement muni d’une vraie tête de porte-bonheur. « Les aventures de Gérard Lambert » raconte ainsi les malheurs de ce motard indécrottable, perdu loin de chez lui, sans essence et pris d’une envie de refaire le portrait d’un passant à coups de clé à mollette, le tout sur fond de musique de western ! Un vrai bonheur que ce morceau.

« Baston », « La teigne » et « Mimi l’ennui » ont des thèmes en commun, et content tout trois la vie de trois paumés, qui n’ont plus rien à apprendre de la vie, parce qu’elle les a trop déçus. Critiques d’une société qui laisse bien peu d’espoir à sa jeunesse, si ce n’est l’illusoire et temporaire refuge de la violence.

On retrouve un peu de gaieté et surtout l’humour décalé de Renaud avec « It is not because you are » qui fait un pied de nez aux autres chanteurs français de l’époque, tous prêts à chanter en anglais pour mieux se vendre. De même « Pourquoi d’abord ? » est à mourir de rire. Renaud fait le gamin, se pose des questions à lui-même avec une voix de sale gosse, et finit par avouer que cette chanson n’est là que pour combler le disque qui devait avoir dix titres !

Mais c’est surtout « Dans mon HLM », « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » et « Marche à l’ombre » qui marqueront leur époque. Tout d’abord « Dans mon HLM », qui reprend un peu la construction d' »Hexagone », les étages du HLM jouant ici le rôle des mois de l’année pour « Hexagone ». Chaque étage donne ainsi à Renaud l’occasion de taper plus ou moins gentiment sur les travers des français.

« Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » est beaucoup plus dur que les autres titres de l’album. Renaud y sanctionne tous les partis et mouvements politiques, même ceux de gauche, accusés de récupérer ses idées de révolution. Cette chanson a été très mal prise par le parti et les militants communistes, qui considéraient souvent Renaud comme un des leurs. Mais ici Renaud se pose plus comme un anarchiste que comme appartenant à un quelconque mouvement reconnu.

Enfin « Marche à l’ombre » a marqué son époque, notamment grâce au film du même nom, et est même devenu une véritable expression courante.

Cet album se vend très bien (650 00 exemplaires) et permet à Renaud de s’installer à Bobino en mars 1980, où il donne une série de concerts dont certains temps forts sortiront sur les albums « Le p’tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes » et « Live à Bobino (le théâtre de la chanson et du rire) ».

Renaud Ma Gonzesse

1979 – Polydor, TFMD-869 (1 CD)

10 titres – 34:20 min

1/ Ma gonzesse
2/ Sans dec
3/ La tire à Dédé
4/ Chtimi rock
5/ J’ai la vie qui m’pique les yeux
6/ C’est mon dernier bal
7/ Le tango de Massy Palaiseau
8/ Chanson pour Pierrot
9/ Salut Manouche
10/ Peau Aime

Paris, France, janvier 1979

Renaud (chant), Jean-Luc Guilard (batterie), Michel Caillot (basse), José Perez (pedal steel guitare, mandoline, flûte, chœurs), Khaled Malki (clavier, flûte, percussions), Mourad Malki (guitares, banjo et chœurs), Marcel Azzola (accordéon).
chronique

Après un deuxième album (« Laisse béton ») assez violent et sombre, parfois qualifié par les médias de l’époque d’incitation au banditisme, Renaud a paradoxalement réussi à trouver le succès en France. En effet les concerts de la tournée de 1978 – 1979 affichent complets, et tous les blousons noirs se donnent rendez-vous aux prestations de Renaud ! Les radios et les émissions de télévision font même de la promo pour le titre « Laisse béton ». C’est dans ce contexte que Renaud signe un contrat de cinq ans avec Polydor et recrute plus de musiciens pour enregistrer son troisième album, « Ma gonzesse ».

Pourquoi ce titre ? Parce que Renaud vit depuis 1977 avec Dominique, ex-femme de Gérard Lanvin. Cet album est d’ailleurs dédicacé à sa gonzesse, dont il s’est fait tatouer le prénom sur le bras. Donc Renaud est amoureux et cela se sent, cet album est plus tendre, parfois mélancolique, notamment sur « J’ai la vie qui m’pique les yeux » ou « Chanson pour Pierrot » qui décrit le désir d’enfant du chanteur. Le titre éponyme « Ma gonzesse » est même une véritable déclaration d’amour à la Renaud.

Cet album sera bien accueilli par la critique, et Renaud pourra l’interpréter en mars 1979 au Théâtre de la Ville puis au Printemps de Bourges (où il passe juste avant Alain Souchon). Le côté plus tendre de l’album fait un peu oublier aux bien pensants que Renaud reste avant tout un contestataire, comme le prouvent « C’est mon dernier bal » ou « Salut Manouche ». Les préoccupations sociales de Renaud sont mêmes exacerbées par l’amour qu’il a trouvé et par le désir de voir grandir un jour ses enfants dans un monde plus juste. Il est passé en somme d’un discours anarchiste à un autre plus raisonnable mais toujours empreint d’humanisme. Renaud devient adulte avec cet album ! (mercredi 17 juillet 2002)

Renaud – Laisse Béton

Renaud Laisse Béton
Renaud Laisse Béton

1977 – Polydor, 825 348-2 (1 CD)

12 titres – 35:11 min

1/ Laisse béton (Renaud Séchan)
2/ Le blues de la porte d’orléans (Renaud Séchan)
3/ La chanson du loubard (Muriel Huster / Renaud Séchan)
4/ Je suis une bande de jeunes (Renaud Séchan / Francois Bernheim)
5/ Adieu minette (Renaud Séchan)
6/ Les charognards (Renaud Séchan)
7/ Jojo le démago (Renaud Séchan)
8/ Buffalo débile (Renaud Séchan)
9/ La boum (Renaud Séchan)
10/ Germaine (Renaud Séchan)
11/ Mélusine (Renaud Séchan)
12/ La bande à Lucien (Renaud Séchan)

Ce deuxième album de Renaud est une véritable collection de petits bijoux d’ironie, mordante ou tendre, parfois cruelle, mais toujours juste. Dès le premier morceau (« Laisse beton », devenu un classique, voire même une expression du langage courant), le ton est donné. On retrouve Renaud le banlieusard. Il a bien changé de look depuis « Amoureux de Paname » deux ans plus tôt, mais son quartier et ses fréquentations sont restés les mêmes visiblement. La mob, le perfecto et les loubards de sa zone, tout y est : le personnage de « Renaud le loubard » est forgé et restera inébranlable pendant des années.

C’est avec son humour décalé que Renaud parle de ce paysage quotidien. Ainsi il revendique l’indépendance pour le 14e arrondissement de Paris dans « Le Blues de la Porte d’Orléans », fonde une bande à lui tout seul et gère les problèmes de cohabitation entre ses différentes personnalités (« Je suis une bande de jeunes ») ou bien narre ses conquêtes féminines sur fond de jeux de mots à deux kopecks qui me font personnellement hurler de rire. Ainsi « Mélusine », « Adieu Minette » et « La Boum » font preuve d’un humour décapant, parfois proche du sarcasme, mais toujours teinté de blagues quasi-potaches.

Malgré cet humour omniprésent la détresse des gens n’échappe pas à Renaud, c’est bien au contraire sa principale préoccupation. « La chanson du loubard », « Buffalo Débile », « Germaine » et « La bande à Lucien » en sont autant d’exemples. Mention spéciale à « Charognards », histoire vraie de braqueurs abattus par la police et que les passants dénigrent et insultent. Renaud a vraiment assisté à cette scène choquante, et a écrit la chanson tout de suite après en rentrant chez lui.

« Laisse Beton » (parfois appelé « Place de ma mob ») est donc directement dans la lignée d' »Amoureux de Paname », que ce soit au niveau des thèmes abordés ou de la composition musicale. Renaud confirme ici son engagement politique et son style d’écriture, fraîche mais toujours impitoyable.

Renaud – Amoureux de Paname

renaud-amoureux-paname1975 – Polydor, 825 347 2 (1 CD)

13 titres – 36:56 min

1/ Amoureux de Paname
2/ Société tu m’aura pas
3/ Petite fille des sombres rues
4/ La java sans joie
5/ Gueule d’aminche
6/ La coupole
7/ Hexagone
8/ Ecoutez moi les gavroches
9/ Rita (chanson d’amour)
10/ Camarade bourgeois
11/ Le gringalet
12/ La menthe à l’eau
13/ Greta

enregistrement à Paris, France, 1975
Renaud Séchan (chant, guitare)

En 1975, Renaud vivote à Paris, essayant de nombreux petits boulots mais ne se trouvant de dons (ni de volonté) pour aucun. Il joue de la musique avec des amis, fait un peu de théâtre et passe finalement beaucoup de temps au bistrot entre potes !

Paul Lederman lui propose alors de venir jouer au « Café Concert de Paris », qu’il vient d’ouvrir sur les Champs Élysées. Il baptise Renaud et son groupe « Les P’tits Loulous ». C’est là qu’une productrice de chez Wha-Wha Musique, Jacqueline Herrenschmidt, repère Renaud et lui propose d’enregistrer son premier disque. Cet album, intitulé tout simplement « Renaud » à l’époque, montre Renaud dans son personnage de Gavroche des temps modernes (la pochette est presque risible !), qu’il abandonnera par la suite pour un look plus « loubard en Perfecto et jeans ».

En mars 75, Jean-Louis Foulquier invite Renaud à son émission de télévision « Studio de Nuit », en direct de chez « La Mère Catherine », un bistrot de la Butte-Montmartre. Renaud y interprète « Camarade bourgeois ».

A part cette promo télé, cet album passe assez mal le cap de la publicité. En effet, comment vanter à l’époque les mérites d’un chanteur qui ne souhaite qu’une chose, la destruction de la société bourgeoise établie ?! La chanson « Hexagone » est par exemple interdite de diffusion sur France Inter. Renaud se cantonne donc aux bals populaires des guinguettes sur le bord de la Seine. Il trouve néanmoins un bon accueil à la « Pizza du Marais », où il joue juste avant Bernard Lavilliers. Renaud sera même barman dans ce café-concert. Il joue également beaucoup en Belgique, qui contrairement à la France, aime bien les chansons anarchistes de Renaud.

Après avoir replacé le personnage de Renaud à cette époque, revenons un peu à l’album !

« Amoureux de Paname » est tout d’abord truffé de chansons engagées, farouchement anti-bourgeoises (« Société tu m’auras pas », « Camarade bourgeois », « Hexagone »). « Hexagone », où Renaud démontre la pauvreté de la vie du Français moyen, à qui on explique comment vivre et que l’on abrutit de télé. Français moyen à qui on interdit aussi la rébellion, comme l’a montré la répression sanglante de la manifestation de Charonne, à laquelle avaient participé les parents de Renaud.

D’autres textes content de façon mélancolique la vie des petits voleurs de Paris et de sa banlieue, dans un style très « guinguette parisienne » des années 50 (« La java sans joie », « Gueule d’aminche »).

« La menthe à l’eau » dans un style plus poétique avec ses jeux de mots prouve que le rebelle est aussi capable de s’attendrir et d’aimer. Mais on s’en doutait, à l’écoute par exemple de « Petite fille des rues sombres ». Même l’humour, mis au service des idées de Renaud, n’est pas absent de ce disque. Ainsi « Rita » et son histoire d’amour contrarié par le Mur de Berlin, ou bien « Amoureux de Paname » où Renaud chante son amour de Paris, incompris des écologistes en mal de petites fleurs !

Ce premier album de Renaud pose avant tout le personnage, et même si musicalement ça ne casse pas des briques, c’est agréable à écouter. Et puis après tout l’important chez Renaud, c’est les textes de ses chansons ! Et dès cet album, Renaud trouve son style engagé et n’en démordra quasiment plus, ce qui n’est pas pour me déplaire.renaud-amoureux-paname

Jacques Brel – Les Marquises

988 – Barclay, 816 726.2 (1 CD)

12 titres – 48:29 min

1/ Jaures
2/ La ville s’endormait
3/ Vieillir
4/ Le bon Dieu
5/ Les F …
6/ Orly
7/ Les remparts de Varsovie
8/ Voir un ami pleurer
9/ Knokke Le Zoute Tango
10/ Jojo
11/ Le lion
12/ Les Marquises

7e volume de l’Intégrale en 10 volumes, parue en 1988 chez Barclay.

Dès 1973, après avoir arrêté le cinéma où il n’a pas vraiment rencontré le succès, Brel se consacre à sa passion du voyage. Sur son bateau l’Askoy II acheté en 1974, il fait le tour du monde, visitant les îles paradisiaques dont il a longtemps rêvé. Mais Brel se sait condamné, après s’être fait enlever une tumeur au poumon fin 1974. En février 1976, Brel revient à Bruxelles pour y subir des examens, puis il retourne s’installer aux Marquises en juin. C’est là qu’il écrit ses dernières chansons, qui sortent sur l’album « Les Marquises » le 17 novembre 1977, dont un million d’exemplaires avaient été réservés avant même sa sortie.

Sur cet album, Brel nous a laissé quelques uns de ses plus beaux titres. Tout d’abord avec « Jaures », il rend hommage à cette icône de toute une génération, qui a tant fait progresser les droits sociaux au début du 20e siècle. Mais surtout Brel n’a plus de limites dans ses textes. Dans « Knokke-le-zoute Tango », il parle ouvertement de sexe, et de la prostitution à Amsterdam. Ses descriptions des femmes n’avaient jamais été aussi précises. D’autre part avec « Les F … », Brel offre un plaidoyer pour la culture et la langue françaises en Belgique, ridiculisant ceux qui tiennent à la langue flamande. Ce débat s’est depuis réglé dans le calme, mais peut-être pas d’une façon qui aurait plu à Brel, qui refusait tout simplement que l’on « impose » l’étude du flamand aux enfants francophones. A noter qu’avec cette chanson Brel cède au style disco en vogue à la fin des années 70, ce qui change du tout au tout des autres titres de ce disque.

Sont présents ici cinq extraits de la comédie musicale « Vilebrequin », à savoir « Voir un ami pleurer », « Vieillir », « Les remparts de Varsovie », « Le bon Dieu », et « Knokke-le-zoute Tango ». Ces morceaux superbes valent à eux seuls la découverte de cet album. « Voir un ami pleurer » et « Vieillir », mélancoliques à souhait, partent à la rencontre des préoccupations de Brel, qui n’a jamais caché ni sa préférence pour l’amitié des hommes à l’amour des femmes trop volages, ni sa peur de la vieillesse. « Les remparts de Varsovie » est une chanson plus gaie, mais là aussi c’est une critique des femmes.

L’album s’achève sur le titre éponyme, « Les Marquises », véritable monument musical à la gloire du dernier refuge de Brel, et de la vie simple et belle qu’il avait découvert là-bas. Cette dernière étape de la vie de Brel se termine sur ce paysage sublime : le 7 octobre 1978, Jacques Brel est transporté d’urgence en France, à l’hôpital de Bobigny, où il meurt le 9 octobre. Il est enterré aux Iles Marquises (sur l’île d’Hiva Oa) juste à côté de Gauguin.

Louis Bertignac et les visiteurs

  • 1987 – Virgin france, VI 879812 / PM 500 (1 CD)

12 titres – 40:18 min

  • 1/ Années folles (4’33)
  • 2/ Le vide (1’58)
  • 3/ Paradis (4’20)
  • 4/ Le matin au réveil (1’49)
  • 5/ Les bêtes (3’52)
  • 6/ Rêves (3’38)
  • 7/ Ces idées là (4’28)
  • 8/ J’attendrai (3’26)
  • 9/ Lady Ann (3’53)
  • 10/ Faux (3’36)
  • 11/ Combien de nuits (2’49)
  • 12/ Simple visite (0’58)

enregistrement

Enregistré et mixé à Paris au studio Davout par Tokes assisté de Laurent Lozahic. Produit par John Potoker et Louis Bertignac.

line up

Louis Bertignac (chant, guitare, basse), Fredo Rousseau, Peter Ogi, Christophe Masson, Corine Marienneau (chant sur « Les bêtes »).

chroniques

Après dix ans passés au sein de Téléphone, Louis Bertignac se lance sous son propre nom. Mais pas tout à fait en solo, puisqu’il est accompagné par les Visiteurs, qui ne font d’ailleurs qu’une visite de courtoisie puisqu’ils ne figurent même pas tous dans le line-up sommaire du livret. Quant à Louis il passe de la guitare au chant et le changement est un peu rude sur ce premier essai. Bertignac n’a en effet pas une voix très forte à cette époque et certaines chansons s’en ressentent (« Lady Ann »). C’est peut-être pour cela que « Les bêtes », chanté par Corine Marienneau (ex bassiste de Téléphone), fait partie des meilleurs morceaux du disque. En même temps la concurrence n’est pas bien rude car Bertignac a cédé aux sirènes des synthétiseurs, véritables plaies des années 1980. Ainsi « Années folles » ou « Rêves » font mal quand on les écoute aujourd’hui tant le son est daté. Et c’est finalement un tube, un slow, l’énorme, l’interplanétaire « Ces idées là » qui sauve cet opus du raté total. La voix de Bertignac à la limite de la rupture, des choeurs a faire pleurer n’importe quel fille pubère, une mélodie et un riff de guitare pour lesquels se damneraient Meat Loaf et Desmond Child, et même quelques notes de piano pour emballer le tout. La messe est dite, on tient là un des plus grands slows du rock français. D’ailleurs « Ces idées là » est un des rares morceaux de cette époque que Bertignac joue toujours en concert. Mis à part cet hymne connu par toute une génération, le reste du disque hésite entre le sirupeux et le passable. L’album suivant – « Rocks », qui parait en 1990 – ne vaut pas mieux. Mais ces deux disques ont permis à Louis Bertignac d’entrainer sa voix et d’opérer sa transformation après l’aventure Téléphone. Phase de transition nécessaire sans doute, mais qui ne laisse donc pas de grands souvenirs, si ce n’est une perle paradoxale comme « Ces idées là ».