Renaud – Rouge Sang

2006 – Virgin (2 CD) – 24 titres – 77:00 min
CD 1: – 1/ Les Bobos – 2/ Dans la Jungle – 3/ Arrêter la clope – 4/ RS&RS – 5/ Ma blonde – 6/ Rouge Sang – 7/ Elle est facho – 8/ Les cinq sens – 9/ J’ai retrouvé mon flingue ! – 10/ Nos vieux – 11/ Fille de Joie – 12/ Danser à Rome – CD2: – 1/ Pas de dimanches – 2/ Adieu l’enfance – 3/ Jusqu’à la fin du monde – 4/ Sentimental mon cul! – 5/ Elsa – 6/ Rien à te mettre – 7/ A la téloche – 8/ A la close – 9/ Leonard’s song – 10/ Malone – 11/ En la selva – 12/ Je m’appelle Galilée

Après « Boucan d’enfer », l’album qui signait le retour de Renaud sur la scène musicale, beaucoup attendaient de voir de quelle manière le parisien rebelle évoluerait. Excusant l’album précédent, qui témoignait d’une vie personnelle difficile, nombreux étaient les fans impatients de retrouver un Renaud en pleine forme au prochain opus. Le chanteur n’était donc peut être pas mort ? Avec lui, les idéaux qu’il portait allaient peut être survivre aussi ? Arrive ainsi « Rouge Sang »…

« Rouge Sang », c’est un double album de 24 chansons, dont le titre et le packaging laissent présager du meilleur. Considéré parfois comme un des initiateurs du rap, Renaud était un chanteur de la rue, un pamphlétaire redoutable, dont certains titres, en leur temps, avaient été interdits d’antenne. Renaud, c’était celui qui n’aimait pas « le travail, la justice et l’armée », et qui voyait mai 68 comme une révolution manquée. Renaud, regardait les français droit dans les yeux, pour leur dire qu’ils étaient « gouvernés par des cons » (chanson « Hexagone »), et s’adressait même directement au chef de l’état : « monsieur le président je vous fais une bafouille, que vous lirez sûrement si vous avez des couilles » (titre « Déserteur »). Renaud écrivait sur tout, dans un contexte urbain et politique tellement chargé à l’époque, que la source était intarissable. Prolixe, intelligent, acerbe, drôle et poétique, Renaud avait le verbe, le talent littéraire, et le ton qu’il fallait. Parfois, il se calmait pour laisser place à de la poésie (« Mistral gagnant », « Morgane de toi ») mais toujours avec une pointe de modération et d’intelligence.

Dans « Rouge Sang », la lame s’est pourtant ébréchée.

Quelques titres renouent avec un passé utopiste/rêveur/révolutionnaire, mais fondamentalement, la nervosité qui a fait le succès de l’artiste n’est plus vraiment au rendez vous. Renaud s’est fait excuser, parce que c’est Renaud ; encensé par la presse comme un monstre de la chanson, pour des titres médiocres et très conformistes, l’artiste a été bardé de prix en tous genres. Une récompense pour s’être rangé ? Pour avoir abdiqué ? Il laisse en tout cas au vrai fan, l’impression d’un vieux chevalier qui s’agenouille et offre son cou à la dague ennemie…

Lui qui, autrefois, fuyait les médias, et disait « je suis pas chanteur pour mes copains, et je peux être teigneux comme un chien », semble aujourd’hui céder à la pression du confort. Sur le double album de 24 titres, dix, et c’est beaucoup trop, ne font qu’évoquer son bonheur complet, total, et limite pathétique d’homme amoureux. Dix chansons sur Romane Serda, sa nouvelle compagne. Des titres gluants, voire niais, qui rappellent les albums de Martine : Romane à la maison, Romane à la campagne, Romane en Italie, l’anatomie de Romane, La couleur des cheveux de Romane…

S’insurgeant autrefois contre l’armée, l’église, l’injustice, la « mort des enfants du Sahel », Renaud s’insurge aujourd’hui contre les blagues sur les blondes, parce que Romane est blonde, contre la cigarette, parce qu’il veut vivre longtemps avec Romane, contre la fuite du temps, mais c’est pas grave parce que Romane est là pour le consoler…

L’album transpire Romane, et le peu de place qu’il reste aux quatorze autres titres, offre des morceaux médiocres, bien loin de ce qu’il y avait de plus caustique chez Renaud au moment de son apogée. Il est difficile de croire, pourtant, que tout va mieux sur notre planète, et les sources d’inspirations pourraient même avoir doublé de volume… Une chanson pour la libération d’Ingrid Bétancourt, (deux titres, un en Français et un en espagnol), viendra expliquer l’inutilité des idéologies des Farcs, une autre parlera des « Bobos », chanson pour laquelle Renaud se sera justifié / excusé plusieurs fois par la suite. Des sujets comme la mélancolie qu’évoquent les personnes âgées aujourd’hui feront verser une petite larme à la ménagère, mais guère plus. Rien de bien transcendant. Le chanteur explique pourtant qu’il a « retrouvé son flingue » et « qu’il était dans ses rimes », seulement il est difficile de lui donner raison. Dans « Elle est facho » peut être, subsiste-t-il un peu de ce qu’était essentiellement cet artiste controversé : un humaniste, qui ne fait pas de compromis avec les cons.

Le titre donc injustifié de l’album « Rouge Sang » s’explique finalement en écoutant la chanson éponyme : une chanson sur la corrida (Cabrel l’avait déjà fait) qui fait toutefois de légers parallèles politiques avec le rouge sang de certaines guerres.

Musicalement, les arrangements sont parfois bons, parfois quelconques. Le guitare/voix de Renaud reste efficace, sur certains morceaux, mais d’autres comme « Ma blonde » ou « Filles de joie » font carrément penser à des génériques de sitcoms. Peut être par conformisme, peut être par peur de perdre ce qu’il a si durement récupéré (l’amour, la sécurité l’argent ?) Renaud s’est calmé, et semble avoir apposé sur chacun des sujets qu’il traite l’étiquette suivante : « critiquer avec modération ». Tout n’est pas à jeter dans ce double album, qui est un bel ouvrage de variété française, mais cela décevra probablement beaucoup le puriste. Reste que Renaud est Renaud, et que cette flamme endormie pourrait encore renaître. Il est possible de donner encore le bénéfice du doute : « Boucan d’enfer », album dans lequel l’artiste remonte à la surface. « Rouge sang », album dans lequel l’artiste se stabilise… Peut être le temps de la colère viendra-t-il dans un troisième temps, l’espérance, le retour de l’époque où naissait la petite flamme de la révolte dans le cœur de ceux qui écoutaient ses chansons…

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