LETTRE A MADAME ERIGNAC - Jean-François Bernardini

tête de more corse
(journal "Le Monde" du 07 mai 2003)
Chère madame Erignac,
Je ne sais trop ce que les événements doivent et peuvent exiger de chacun de nous, ce en quoi un signe, une parole savent être quelquefois utiles, attendus, espérés.
Je vous écris, à vous et à vos enfants, parce que ma conscience m'y appelle, parce qu'elle est sortie blessée de cette tragédie du 6 février 1998, qu'elle le restera indéfiniment, et que je serai toujours de ceux qui auront, ici, en Corse, le sentiment de vous devoir quelque chose.
Je ne le fais qu'en mon nom, mais j'ai beau chercher autour de moi, regarder les visages, écouter les cours, respecter les silences, j'ai beau chercher à savoir, à comprendre, à entendre, ici, aujourd'hui comme hier, à la veille du jour où des hommes se retrouveront au carrefour de la justice, la souffrance est partout.
Je n'ai jamais rencontré votre époux disparu, mais je l'ai comme tout un chacun observé.
Il a indéniablement laissé auprès de tous la marque de son intégrité, sa droiture, la richesse de son âme, sa soif d'être proche du cour des hommes et femmes de Corse, au service d'un peuple qu'il aimait, qu'il estimait de toute évidence.
M. le préfet Erignac, votre époux, le père de vos enfants, restera à tout jamais une victime innocente que l'histoire des hommes a posée un jour sur l'un de ces ressacs où s'en vont échouer tous les revers de nos vies, les éclats de nos blessures, de nos histoires.
Au soir de cette tragédie, je me trouvais hors de l'île. C'est d'ailleurs que j'ai entendu, réentendu l'écho d'un geste, une image, et s'il fallait un acte supplémentaire pour avoir un peu plus mal à ma terre, celui-là advint en couronnement d'une déjà longue, trop longue liste.
Tant de questions, d'incertitudes, m'ont renvoyé à mes principes d'humanité, de dignité, mais aussi d'inquiétude et de responsabilité, car la Corse a cette particularité de répartir entre tous ses enfants le poids de ce qui advient, le fardeau de ce qui pleure, une part de souffrance, une peine qui devient la peine de tous.
Quarante mille personnes sont descendues dans la rue, d'autres ont érigé le plus lourd des recueillements, et pour la première fois en terre de Corse, j'ai vu la foule, dans un cri du coeur, applaudir au passage d'un cercueil, lors du dernier adieu à un homme ; pour la première fois, comme un partage intense, comme si la Corse en deuil voulait faire valoir et entendre sa première peine, sa première justice, la justice du cour, de la peau, du sang dans ses veines, la justice que l'on se doit, que l'on rend quand on s'incline.
Au lendemain, d'autres questions ont bien sûr couru sur toutes les lèvres.
Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Des questions tellement légitimes, auxquelles d'autres suspicions ont cru bon de donner quelquefois une tournure doublement douloureuse, pour cette île globalement soupçonnée de complaisance tacite, de culpabilité collective, de connivence, d'indifférence silencieuse, de surdité au malheur de l'autre. Toutes ces choses grotesques qui distillent goutte à goutte les germes de l'incompréhension, des distances et des rejets où d'autres édifieront plus tard l'hypothèse d'un problème de " peuple à peuple", de "moeurs à moeurs". Toutes ces choses qui répandent sur une communauté entière une opacité qui contribue à l'obscurcir, ces symptômes qui recrutent et préparent les déchirures et les ressentiments de l'avenir.
Aujourd'hui, je vous écris comme si ces simples mots voulaient entrer dans votre enfer, parcourir votre deuil entier, et la moindre idée de pouvoir vous offenser un instant m'a longtemps fait hésiter.
Je vous écris comme on écrirait au monde entier, tout droit de ma conscience d'homme, pressé par les circonstances, sans révélation à faire, sans vérité supplémentaire à dire, sans mandat de quiconque, sauf peut-être cette espérance d'augmenter une chance de justice, de paix, de guérison ; sauf cette espérance de dire un mot qui manquerait, ce mot que vous auriez besoin d'entendre prononcé par un enfant de cette terre, sauf cette soif de vous dire un de ces mots qu'un Corse parmi tant d'autres a sur le coeur.
En d'autres circonstances, accompagné de milliers d'hommes et de femmes, j'ai eu l'occasion de dire, d'écrire, de chanter, que tuer un homme, en Corse comme partout, ne peut pas être acte de justice.
De tous ceux qui m'ont aidé à grandir, à être, j'ai retenu à tout jamais cette goutte d'humanité que j'ai dû lire dans leurs gestes, sur leurs visages : "...mieux vaut mourir plutôt que tuer...", et aucune solidarité, fût-elle communautaire, idéologique ou de tout autre nature ne me ferait déroger à cette règle ; toute mort d'homme est fratricide.
Chaque goutte de sang est le sang de mon frère ; là est l'objet de mon premier tourment, mais à l'évidence, cela ne suffit pas à prévenir le pire.
Quelques mois après ce drame, au détour de mes chemins, je n'oublierai jamais les mots de cette autre femme vêtue de noir ; elle semblait avoir traversé d'identiques peines, venir d'un même tourment, comme à pleurer les morts et pleurer les vivants ; elle portait un goût de désespérance dont elle disait : "... tout cela nous enlève le bonheur de croire... le bonheur de vivre pour la Corse..."
Je ne connais pas son histoire, je ne sais rien d'elle, je l'ai juste secrètement devinée, deviné la couleur de son âme, le cri de son coeur et j'ai retenu ses mots, les larmes de sa terre. J'aurais aimé les écrire sur tous les murs du monde.
En son nom, je ne remercierai jamais assez ces hommes et ces femmes qui m'ont appris, averti de ces écueils tellement humains où après le pire reste toujours le prix du pire, ses conséquences, ses meurtrissures dans tous les coeurs, ces écueils où dans le déchirement, chacun pleure les siens, chacun de son côté : la plus inacceptable, la plus douloureuse des tristesses, la plus amère des défaites.
Ces hommes et ces femmes-là m'ont appris un chemin fraternel et compassionnel auquel je suis resté fidèle.
Comme eux, j'y ai inscrit ma détermination à faire entendre une plus belle idée de l'homme, une plus belle idée de la Corse, une plus belle idée du monde.
J'y ai gravé l'amour d'une terre avec en écho, en parallèle, l'amour de toutes les terres du monde, tout comme je n'ai jamais manqué de dresser l'inventaire d'erreurs historiques, politiques et humaines qui ont conduit cette île sur la mauvaise route.
Convaincu que tout acte, que tout geste humain a quelque chose à nous dire, j'ai toujours cherché à comprendre.
Obstinément, j'ai cherché le sens de tout événement, y compris et plus encore celui que je trouvais insensé, ne fût-ce que pour ne pas laisser nourrir le cycle des recommencements, nous prémunir, interdire à nos blessures de blesser qui que ce soit, nous préserver de ces itinéraires où les hommes, les peuples, finissent par se perdre quelquefois.
Dans un contexte où chacun en a toujours joué à profusion, je n'ai jamais naïvement condamné la violence ; j'ai seulement tenté de mieux faire ; je l'ai combattue.
Je me la suis interdite, j'ai essayé de l'empêcher.
J'ai combattu aussi les raisons de sa présence.
A chacun de mes mots, chacun de mes gestes, j'ai tenté d'oeuvrer contre toutes les violences car, voyez-vous, si la Corse est tragiquement grave parce qu'on y tue, parce qu'on y meurt, elle est grave aussi parce qu'on y vit.
Une terre où l'échec et la violence existent et persistent à ce point estpeut-être le lieu où sévit un mal d'une autre nature que celle que l'on veut bien nous dire, enraciné en d'autres raisons que celles que l'on veut bien nous laisser croire.
Ainsi, je me suis toujours gardé de tout ce qui condamnait l'existence d'une violence, tout en organisant, en perpétuant le terreau de l'injustice.
Je me suis interposé là où j'ai pu, j'ai toujours fait le choix d'un peu de lumière là où s'érigeaient les intransigeances, les radicalités bruyantes ou silencieuses, les affrontements.
Parmi tant d'hommes et de femmes qui ont donné le juste exemple, cela est mon chemin d'homme ordinaire, porté par l'espérance d'un horizon plus juste, plus humain.
Dois-je vous dire que, si tant de choses m'ont fait, nous ont fait douter, vaciller, je n'ai jamais renoncé.
Là où le juste était refusé, des hommes et des femmes ont persévéré.
L'évolution des choses leur a souvent donné tort.
D'ignorance en mépris, d'incompréhension en cynisme, beaucoup savent ici comment les mots sont devenus slogans, comment les slogans se sont mués en attentats, comment a été érigée non pas l'endémique, mais la mécanique du pire.
Des radicalités de toute nature ont à regret trop souvent laissé démontrer, qu'il fallait ici payer le prix fort pour faire taire ou entendre des choses dont bon nombre semblent tellement légitimes à défendre ou à admettre par ailleurs.
J'en ai pris acte sans jamais me résigner.
Les politiques menées dans cette île ont, pas à pas, abreuvé chez beaucoup cette conviction, cette profonde détermination, que seul le geste du sacrifice ferait évoluer, avancer les choses.
L'intransigeance des conservatismes et celle des actions se sont ainsi mutuellement nourries en ennemis complémentaires, jusqu'à enfermer cette île dans un étau dont on sait désormais le prix qu'il coûte.
Là s'est peut-être solidifié le premier particularisme corse.
Si le dialogue est devenu possible, il l'a paradoxalement été après le 6 février 1998, grâce au courage initiateur de Lionel Jospin, puis celui de Nicolas Sarkozy, mais... à quel prix, et au bout de quelles douloureuses étapes ?
La parole, le dialogue sont de toute évidence un progrès, peut-être un acquis, mais dois-je dire ici que la manière dont se trament et s'obtiennent les choses, me fait en la circonstance froid dans le dos ?
Chère madame Erignac, nous avons tous par devoir de croire en l'intelligence humaine ; c'est pour cette fois-là que je parle, c'est pour cette espérance-là que j'écris.
Comment se nouent les drames, où prennent-ils leur source, nous enseignent-ils quelque chose, avons nous tort ou raison de chercher à comprendre... ?
Je ne connais pas la réponse à ces questions, mais j'ai la faiblesse de croire qu'elles font toutes partie de nos secours, des moyens de nos espérances, nos espérances humaines.
Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Du plus profond de mon âme, j'espère avec vous que réponse sera donnée à ces questions qui doivent hanter tous les plis, tous les recoins de votre souffrance.
Que justice vous soit rendue reste la première exigence de chaque conscience humaine ; c'est aussi la mienne.
A la veille de ce procès où la souffrance sera partout, là d'où personne ne sortira victorieux et où je n'ai le pouvoir d'aucune consolation, m'autorisez-vous cependant à vous dire que j'ai et aurai pour longtemps, trois profonds regrets, que j'espère apaiser un jour ?
Un premier regret qui me laisse croire chaque instant que si les aspirations les plus légitimes, les plus défendables avaient pu être entendues telles que, trente ans après, on semble vouloir s'y orienter, cela aurait peut-être pu aider à faire l'économie de blessures, de meurtrissures qui pèsent et pèseront encore sur le seuil de nos cours, le seuil de nos consciences ?
Autre regret : réentendre trop souvent ces propos qui pourraient s'additionner à votre indignation, ces propos trempés de dégoût et de fatalité, dressés comme une supplique, un défi à l'Etat de droit, à la démocratie, dans la bouche d'un trop grand nombre de mères, de femmes, d'épouses de Corse : "... la justice ce n'est pas pour nous ; la mort de nos enfants disparus ne sera jamais pour l'Etat une cause sacrée..."
Enfin, me reviennent au cour, comme l'écho d'une sentence, un verdict, ces mots abrupts que la rue vous confie quelquefois, accablée qu'elle semble d'impuissance, ces vérités sans fard dont on ne sait trop s'il faut les négliger, les réfuter ou bien alors les entendre plus que jamais. Aux lendemains qui ont suivi cette tragédie, j'ai entendu dire ici : "... inadmissible, inexcusable, mais... tristement prévisible..."
Là sont mes regrets, là est aussi mon autre tourment, et si je ne veux les verser à aucune sorte de démonstration, je souhaite simplement en conscience et au titre de "douloureux indices", les voir inscrits un jour au nécessaire chapitre qui pourrait illustrer "l'archéologie des fautes", la "traçabilité du scénario" qui nous mènent là où nous en sommes.
En tout cela, je sais combien d'hommes et de femmes cherchent encore la confiance et la force qui seront nécessaires pour défaire l'étau d'invivables alternatives qui brisent les rêves, les enthousiasmes, les talents, les vies, sans préserver quiconque des rechutes de la désespérance ni de leurs conséquences.
Combien de bras seront de nouveau demain disponibles à ces intolérables gestes ?
Combien de vies seront-elles demain les sacrifiées, les autres suicidées de cette société ?
Comment tarir la source où va s'abreuver le goût des "solutions finales" ?
Comment des hommes ordinaires deviennent-ils capables de cela ?
Autant de questions, autant de peurs dont je supplie chacun d'admettre qu'elles sont ici comme une terrible crainte, un "état d'urgence" ; autant de questions qui me viennent à l'âme sans répit, sans repos.
Qu'est-ce qui tue en Corse ?
Comment s'est organisé l'envers sombre des choses, le processus de médiocrisation du destin de cette île ?
Tout a-t-il été fait pour récolter une paix ?
Si l'indice de dangerosité d'une société augmente chaque jour et de façon cyclique, les politiques menées y sont-elles pour quelque chose ?
Tout cela est-il un hasard, une fatalité ou un fruit ?
D'où ces choses-là peuvent-elles surgir ? D'autres diront laconiquement :
"C'est simple... de nulle part... tout était là depuis toujours... la violence... la xénophobie... la paresse... la barbarie... les clans... la hantise de la justice, l'ingratitude... c'est la Corse..."
Continuant à exploiter et confondre "le malheur des hommes" avec "le mal qui les dévore", quelques cyniques persisteront ainsi à soigner leur innocence, leur conscience, par des conclusions aux effets dévastateurs.
Le discours sur la Corse a, il est vrai, et de toutes parts, ses non-dits, ses tabous. Il y règne une sorte de "loi d'ignorance" qui se complaît avec d'autres règles du silence jusqu'à ce qu'inexorablement l'histoire se fasse entendre.
Le débat, les mots devraient aider à démasquer l'erreur, le mensonge et la délivrer du pire ? Le plus souvent, ils sont engloutis et piégés sous une pyramide de poncifs qui n'est plus inoffensive.
A ce titre, la Corse n'est pas une exception : tout ce qui fait taire le mal finit toujours par le favoriser, le propager.
Parfois, je me dis qu'ici comme souvent, chacun a peut-être comme un profond désir de ne pas connaître la vérité ; est-ce parce qu'elle n'épargnerait personne ? Est-ce parce que sa quête pourrait nous amener à reconnaître toutes ces choses que nous ne voudrions pas voir, comprendre, ou bien alors, est-ce parce que, finalement et à tout jamais, l'échec, la violence et la mort vont si bien aux enfants de cette terre ?
Au regard de tout point du monde où l'on mise sur la dépendance, le clientélisme, l'assistance, le conflit identitaire, alors que l'harmonie, les partenariats, l'émancipation sont à portée de main, est-il si ardu de convenir que l'on n'obtient jamais de la sorte ni citoyenneté, ni égalité, ni responsabilité et, finalement, ni paix, ni véritable démocratie ?
Chère madame Erignac, aurai-je le droit d'être de ces deux tourments à la fois ?
Pour l'heure, ce sont les mots qu'auprès de vous et vos enfants je voulais déposer ; en mon âme et conscience j'espère les avoir écrits dans la langue de la dignité.
Mon tout premier souhait est qu'en aucune manière ils ne soient pour vous un poids, une blessure, une offense supplémentaire ; moins encore que vous y trouviez le goût déplacé d'une mal-intention.
Dans quelques semaines, à la minute même où la justice se sera prononcée, à l'instant même où quelque chose sera rendu aux hommes, je voudrais tant que naisse une promesse, une promesse de nous, de nous tous.
A l'instant même où le ciel sera lourd, où tombera l'illusion d'un rideau sur l'irréparable, sur la digne mémoire d'un homme, sur chaque cour en peine, à ce moment où des hommes, des familles seront accablés par le poids, la responsabilité d'un acte, à cet instant où après le sacrifice d'un homme, d'autres le seront à leur tour d'une autre manière, quand toutes les souffrances restantes iront se blottir au cour de nos vies humaines, je serai plus que jamais de ceux qui prennent leur part.
Je voudrais tant que naisse alors la promesse de transformer le jugement prononcé en un serment d'espérance. Le serment d'en éviter à tout jamais le retour. Le serment d'un autre commencement, celui d'une paix positive, la leçon retenue de drames d'où chacun aurait à cour l'idée d'un autre possible.
Je voudrais tant que commence là le chemin qui aide à surmonter le pire et plus encore le goût, la mémoire du pire.
Là, nous essaierons de marcher, parce que nul ne peut vouloir ni la haine, ni l'injustice, ni la violence à vie.
C'est, il est vrai, une tâche qui pourrait être celle des hommes de bonne volonté, mais aussi celle d'une société entière. Le projet d'une société avide de préserver une justice, une paix sans oubliés, sans exclus, sans déni de la moindre part d'une responsabilité qui incombe à chacun.
Chère madame Erignac, je vous écris de Corse jusqu'au cour de votre insoutenable peine, mais je ne sais pas inventer la moindre des consolations à toutes ces colères qui traversent les mers, les terres, les chairs.
Je sais cependant que la Corse souffre et fait souffrir, tue et se meurt d'être ce champ de bataille pour quelque chose de juste que depuis trop longtemps, on ne veut pas entendre.
En conséquence, la Corse n'est pas en paix ; l'homme n'y est pas en paix.
Sans cette paix intérieure, celle entre les citoyens eux-mêmes, celle entre les citoyens et l'Etat, la paix extérieure y perd toujours, et inévitablement, quelques-unes de ses chances, et ce champ de bataille est à l'évidence suffisant, efficace, pour conduire des hommes à abîmer la vie, à s'abîmer aussi.
C'est une amère, une triste défaite, d'où je veux croire un chemin possible.
C'est à ce chemin-là qu'il faut ramener tout un chacun. C'est ce chemin-là qu'il faut chercher avec une patience inusable. C'est à nous tous qu'il appartiendra de prouver chaque jour que ce n'est pas le sang qui fait l'histoire. S'il est un destin des hommes, il ne peut être que celui-là.
Aujourd'hui, j'imagine deux montagnes, et entre elles, un gouffre.
J'imagine des hommes et des femmes ayant le courage de cet infranchissable-là, qui s'en iraient défier les abîmes, n'ayant pour maître que leur conscience ; des hommes et des femmes qui ne cesseraient de grandir et feraient reculer le pire, à l'intérieur de soi, autour de soi.
J'ai beau regarder les choses dans tous les sens, dans ce que les hommes font de leur société, dans ce que la société fait de ses enfants, je m'en remets humblement à la seule question qui veille, la seule question qui vaille : serons-nous capables de porter ensemble le fardeau et la promesse ?
Pour espérer cela, il faut sans doute, je le crois, faire naître d'abord un désir de guérison. La sauvegarde de nos terres humaines n'est nulle part ailleurs que dans le cour humain, la pensée, l'humilité, la responsabilité humaines et cela commence toujours et partout par " la parole du coeur", fût-elle difficile à dire, fût-elle difficile à entendre.
Chère madame Erignac, parce que le bruit des peuples ne suffit pas toujours comme preuve, pour tous les soleils que nous laissons s'éteindre et mourir, pour tous les hommes qui s'éloignent les uns des autres, je suis et demeure de ces humains qui inlassablement rêvent de faire aimer, comprendre et reconnaître quelque chose de digne que nous portons tous sur la peau infiniment.
Pour autant, aujourd'hui, je n'ai pas écrit le dernier mot de cette lettre.
De toute mon âme, je souhaite qu'il vous revienne, à tout jamais.
Je vous adresse, ainsi qu'à tous les vôtres, mes plus respectueux hommages.
Jean-François Bernardini
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